Shokuiku
En mars dernier est paru dans l’hebdomadaire Courrier International un article très intéressant concernant la nouvelle Loi d’orientation de « l’éducation alimentaire » japonaise (shokuiku). Cette proposition de loi, qui propose d' »éduquer les citoyens pour les rendre capables d’adopter des pratiques alimentaires saines », fait actuellement débat. »L’alimentation est la base de la vie. Nous vivons dans une societe où cette évidence est de moins en moins respectée », déplore le Parti Liberal-Democrate (PLD) au pouvoir. « Le but de la loi est de provoquer une prise de conscience révolutionnaire ». Rien que ça ! Pour le PLD, l’éducation alimentaire constitue « le fondement du développement intellectuel, moral et physique », et il est du « devoir de chaque citoyen » de « s’efforcer de garder des habitudes alimentaires saines tout au long de son existence ».
Parler du déclin de l’éducation alimentaire au Japon pourrait sembler quelque peu incongru à nous autres Français, pour qui l’alimentation japonaise apparaît comme l’une des plus saines au monde. Mais détrompez-vous : il n’en est rien ! La nourriture japonaise traditionnelle, certes, est extrêmement saine : poisson, riz, algues, légumes… Rien à redire à cela. Mais ce que les Japonais mangent aujourd’hui n’y ressemble pas vraiment.
Le premier repas que j’ai pris lors de mon tout premier séjour au Japon était celui d’un restaurant universitaire. Vous me direz, les RU ne sont jamais à la pointe de la gastronomie ! Peut-être, mais ce qui m’interpella ce jour-la, c’était moins le goût que le choix des plats proposés.
Je n’avais jamais vu autant de friture ! Poulet frit (kara-age), croquettes de poisson, croquettes de légumes (korokke), porc pané (tonkatsu), poulet pané (chicken katsu), et j’en passe. Ce jour-la, je commandai un plat de pâtes. Il était servi avec une cuillerée de petits pois.
C’était le plat le plus riche en légumes ce jour-là …
Vous me direz que le RU est un mauvais exemple. Certes. Rendons-nous donc dans un supermarché, dans le but d’acheter un bento, une boîte repas. Cherchons en un ne contenant aucune croquette, aucun truc frit, pas une seule trace de panure. Eh bien… il n’y en a pas. Ou plutôt, si, il y a les sushi. Mais chacun sait que tous les Japonais ne se nourrissent pas quotidiennement de poisson cru… Pour ma part, j’ai très rapidement renoncé à acheter tous les jours un bento pour le repas de midi, effrayée par la quantité d’huile de friture que j’aurais absorbée à la longue. Mais ma collègue de travail, elle, ne s’en lasse pas : tous les jours dans son bento, on trouve des petites croquettes frites surgelées, délicatement arrangées dans la boîte par sa maman (ma collègue a 27 ans…).
Comme en France, au Japon les produits les moins chers sont aussi les plus mauvais pour la santé.
Lors de mon dernier séjour à Tokyo, voulant manger pour pas cher, j’avais le choix entre les bento garnis de friture ou la version restaurant : le bol de riz garni de porc pané et d’omelette. Je n’ose même pas imaginer l’addition nutritionnelle d’un truc pareil ! Vous me direz, une fois de temps en temps, ça va. Bien entendu. C’est même délicieux, pour tout vous dire. Cependant, il faut garder en tête que les Japonais mangent de plus en plus souvent à leur travail (bento) ou à l’extérieur (restaurants et fast-foods), et multiplient donc les occasions de consommer ce genre de choses.
J’étais tout aussi effarée un jour en buvant mon café noir chez Starbuck’s, la chaîne de cafés américains la mieux implantée au Japon. Mis à part mon café noir et le thé, toutes les boissons contenaient une bonne dose de crème Chantilly et de sucres en tous genres, et remportaient un franc succès auprès de la clientèle. Mais comment font-elles pour garder la ligne en mangeant comme ça ?, me demandez-vous. Réponse : elles ne la gardent pas longtemps. En effet, l’obésité est devenue un problème sérieux au Japon depuis déjà quelques années. Je ne connais pas de chiffres exacts, mais je le constate tous les jours dans la rue.
Au Japon comme ailleurs, par les temps qui courent, on souligne de plus en plus souvent le caractère anomique (sans normes) de l’alimentation : petits-déjeuners sautés, repas en solitaire ou individualisés qui se multiplient, tout comme les fast-foods et le nombre de repas pris hors foyer.
La constatation est la même en France, à ceci près que l’individualisation des repas me paraît encore plus grande au Japon. Chez mes amies japonaises qui vivent encore avec leurs parents (même après 25 ans, ici, c’est très courant), tout le monde mange à une heure différente (le père en rentrant du travail, la mère et la fille quand ça leur chante, mais très rarement ensemble) et bien souvent des plats différents. En France, malgré ses déboires, le repas du soir en famille reste tout de même une institution dans bon nombres de foyers, ce qui permet de maintenir et de transmettre un minimum cette fameuse « éducation alimentaire », chose que l’on ne retrouve pas au Japon.
La loi sur l’éducation alimentaire vise à mettre en avant la nourriture traditionnelle trop souvent négligée au profit des nourritures actuelles, ainsi que les traditions locales.
Tout cela part donc d’un très bon sentiment, mais fallait-il une loi pour cela ?
Oui et non. On peut en effet estimer que l’alimentation est avant tout affaire de goût et que les lois n’ont rien à faire là -dedans. Une loi sert en effet à fixer des règles minimales devant être respectées par tous les citoyens sous peine de désordre social. Mais cela s’applique-t-il aussi à l’alimentation ?
En même temps, cette loi semble avant tout une affaire de bon sens, entendez par la de sens moral. Elle suggère que les collectivités locales mettent en place « des occasions, telles que des cours de cuisine, d’apprécier la nourriture tout en apprenant les bonnes façons de manger ». Les « bonnes » façons de manger ? Mais quelles sont-elles ? Pour le Japon, la réponse est : l’alimentation traditionnelle et locale, une sorte de retour aux sources et au terroir régénératrice.
La France n’a pas eu besoin d’une loi pour faire le même constat ; le succès des produits bio et terroir est là pour le confirmer. Les Japonais, eux, devront-ils ajouter les « bonnes façons de manger » à leur longue liste de devoirs de citoyens pour le comprendre ?
ce que tu racontes est absolument edifiant, c’est la fin d’un mythe ! C’est vrai qu’a l’etranger, la nourriture japonaise donne l’image d’une nourriture saine : sushis, sahimis et soupe miso, que des bonnes choses pour la sante. Les comportements que tu decris sont finalement tres proches de ceux des Americains : heures de repas anarchiques, sandwiches avales devant l’ordi, repas sautes et gout pour les boissons hyper-caloriques au Starbucks. Aux Etats-Unis en revanchepar contre, le bio gagne beaucoup de terrain, les chaines de supermarche « organic » sont tres bien implantees, Whole Foods affiche une croissance de 20% par an ! Ne constate t’on pas un phenomene similaire au Japon ? Autre chose : je sais qu’on trouve de tres bonnes patisseries a Tokyo (Pierre Herme, LaDuree), a priori il existe donc une proportion de Japonais qui apprecie la nouriture de bonne qualite mais la encore, est-ce specifique a Tokyo ? Dans tous les cas, j’en connais une qui va encore faire un tabac avec son « French women don’t get fat » !!
Une derniere chose : tu parles de bon sens mais aux Etats-Unis, on dit que « common sense is not that common », je crois que ca en dit long ! Dommage qu’il faille recourir aux lois pour inculquer cette notion !
Bonjour Estelle !
Pour ce qui est du bio au Japon, il existe des cooperatives bio qui livrent a domicile, par exemple, et des petits magasins bio a dominante dietetique. Mais je ne constate pas (peut-etre que je me trompe) de reelle tendance en faveur du bio. Beaucoup moins qu’en France en tout cas, et certainement moins qu’aux Etats-Unis.
Ce qui a beaucoup de succes en revanche, ce sont les produits locaux. Un Japonais qui voyage ne repart jamais sans un produit local !
Quant aux patisseries francaises, elles font incontestablement un tabac. Si on ne trouve les Pierre Herme et autres Laduree que dans les tres grandes villes, on trouve egalement des « patisseries francaises » dans les petites villes japonaises. Malheureusement, elles n’ont souvent de « francaises » que l’appellation, et on y trouve surtout du mauvais pain ou des gateaux a la creme. Mais peut-etre suis-je mauvaise langue ?
En tout cas, le succes des Starbucks, des distributeurs Coca-Cola et des Mc Do est incontestable. C’est ca, en partie, qui inquiete les politiciens japonais actuellement.
Nos politiques aussi s’inquiètent depuis quelques temps au sujet des fast food et autres distributeurs de sucreries. Des lois sont aussi passées en France, pour obliger les industriels ed l’agroalimentaire à plus de modération dans l’utilisation de certains composants.
Je pense quant à moi, que l’équilibre alimentaire et la nourriture est affaire d’éducation. Mais ça n’engage que moi.
Je suis étonnée au même titre qu’Estelle, car pour moi aussi, nourriture japonnaise rimait avec équilibre et vie saine…Comme quoi !
clea, en lisant ton post, j’ai reflechi encore une fois la difference entre de differents pays ; la France, le Japon,,, Meme si j’ai fait des visites au Japon, j’ai pu bien apercevoir la vie des japonais. Merci pour ton post instructif.
Lali >> Je touve au contraire que ce ne sont pas les produits qui souffrent de la mondialisation mais les comportements alimentaires, qui ne sont, apres tout, rien de plus que des symptomes d’une societe qui veut tout, tout de suite.
Je ne pense pas non plus que le problème vienne uniquement des industriels. La société a aussi son rôle à jouer là -dedans : si les familles japonaises ne mangent plus ensemble, ce n’est pas seulement la faute des industriels. C’est surtout parce que l’alimentation est devenue de plus en plus anomique, il existe de moins en moins de normes permettant aux gens de se repérer dans le monde de l’alimentation. L’absence de repas structurés socialement fait que l’on se retrouve au fast-food ou à avaler un bento pas très bon pour la santé de plus en plus fréquemment. Les produits industriels sont seulement la réponse à ce déréglement, mais pas la cause. S’en prendre uniquement à eux, c’est donc oublier d’où vient le problème : de l’environnement social.
malheureusement je ne connais pas le Japon et donc je ne peux pas mettre en avant cet argument. Par contre, en France et en Europe, vous ne devez pas oublier que la majorité des personnes faisant leurs courses chez Ed, Leader et autres marques de discounter sont des familles ne pouvant s’acheter autres choses que le poulet à 3 euro (pire produit de mal-bouffe sur terre). Ils sont incapables financièrement de manger des produits bio. Le retour des jardins collectifs, leur permettrai peut être de cultiver peut être des légumes frais.
Je suis une privilégiée, je peux acheter un produit bio, avec des labels de qualité, faire appel à un traiteur plutôt qu’à Mc Do mais tout le monde n’est pas dans cette situation.
Et puis, un dernier point, je n’ai pas grandi avec des distributeurs de coca dans mon école primaire ou des distributeurs de sandwich dans mon lycée. Les industriels, aujourd’hui, n’hésitent pas à forcer sur le sucre même dans la tranche de jambon ou dans la barquette de poulet basquaise.
Sans oublier qu’être libre à Pékin, goûter la modernité, toucher l’amérique du doigt, c’est manger Mc Do, Chicken truc, Burger bidulle.
Ce que tu dis est très juste et valable pour tous les pays au monde. Par exemple, au Portugal, c’est pareil. Tout ça à cause de la mondialisation… L’image du portugais gros est totalement erronée. Au Portugal, les personnes âgées sont plutôt très minces, même. Mais dès que l’on rencontre un portugais à l’étranger, c’est tout le contraire. En effet, la cuisine portugaise de terroir est surtout à base de légumes bouillis, poissons grillés et huile d’olive crue. Mais mes compatriotes ont découvert la cuisine au beurre et le fast-food, comme tout le monde. Et là , bonjour les dégâts!
Za, je suis très contente que mon blog t’ait permis de trouver des infos. Je vais également réfléchir à ce que je pourrais avoir sous la main !
Bonne continuation !
Bonsoir ! J’ai trouvé ton site par hazard en recherchant des sites de nourriture japonnaise pour la création de mon blog et en tombant sur le tien, j’ai appris que « l’obésité est devenue un problème sérieux au Japon depuis déjà quelques années. » et je ne pensait pas du tout que c’était vraiment un problème chez eux. Probablement parce qu’on ne voit pas de photos de japonnaises obèses sur le Net mais en tout cas leur nourriture est divine.
Pour ce qui est des Mc Do’, il y en a autant au Japon que chez nous j’imagine d’où la nouvelle culture obèse qui arrive chez eux et puis tout les jours, le fast-food c’est lassant il faut avouer.
Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de voir le film japonais « Zensshoku », film sur une adolescente qui fait des « crises d’obésité » d’aprés ce que j’ai pu comprendre (le film étant en VO non sous-titrée) et quand on voit ne serait-ce ce qu’ils mangent au petit déjeûner, on ne s’étonne pas trop du fait que l’obésité les guettent et les ait rattrappés.
Bon blog.A bientôt.